Chroniques de l'homme moderne


S'il est vrai que le livre de George Steiner, Passions impunies (que je cite simplement car je m'en souviens spontanément au moment où j'écris ces lignes), parle avant tout de culture écrite (dans mon souvenir), la culture est aussi une culture de l'image : peintures, photographies, cinéma. Ma culture est plus faite d'images que de textes, ou alors d'essais plus que de romans ou poésies, étant globalement plus sensible à l'esthétique des images qu'à celle des mots. Je lis trop peu, un peu comme la moyenne des gens, ou du moins je ne considère pas que de lire un polar soit réellement de la culture, pas plus que de regarder une série télé. Probablement vieux jeu, comme les réalisateurs européens qui expriment leur opposition à Netflix, Apple, Disney ou Amazon, leurs séries télé et leurs films, car ces productions échappent peu à un important formatage (on pourrait encore citer kulturindustrie de Adorno&Horkheimer). Évidemment, il s'agit de faire de l'argent, car un film ou une série doivent rapporter, mais faire de l'art, suppose aussi (avant tout) de prendre un risque, de tenter quelque chose, de s'exprimer, pas de faire du marketing en vue de cibler un public via des ajustements scénaristiques choisis dans ce but précis. Les personnes qui apprécient la création au sens large on parfois du mal lorsqu'il s'agit de comprendre que la culture actuelle est faite de camelote, de produits, de fausses valeurs, de superhéros (les reboot des prequel, ou le contraire).


La culture de l'image est une culture aujourd'hui américaine et l'Europe est restée plus littéraire comme l'a souligné Debray, mais cette spécificité est en passe de disparaître, comme si l'Europe abandonnait la partie, submergée par les images, intégrée dans un empire lui même en voie de probable dislocation, mais qui ne le sait pas encore. Les grands photographes du 20ème siècle étaient aussi européens. Je n'ai pas pu m'empêcher d'acheter ce livre des photographies de Marc Riboud (Chines) après l'avoir feuilleté. Monde de traditions, de travail agricole et de condition humaine difficiles. Monde agricole pauvre, puis industrialisation, enfin ouverture sur l'occident, sa publicité, sa société de consommation, le mélange entre l'ancien et le nouveau. Clone de l'occident ? Sûrement pas, mais quelque chose a peut-être été perdu, ou enfoui, dans cette volonté de vouloir aller plus vite que le voisin, le communisme ayant effacé ou dissimulé en partie les références passées. Une sagesse qui n'est probablement pas occidentale aurait tout loisir de se développer et de s'exprimer autrement qu'en voulant faire plus de produit intérieur brut que les voisins américains ou européens. Ce serait quelque chose que nous admirerions volontiers à nouveau, comme le photographe a admiré ce pays. Sommes nous admiratifs devant les produits industriels qui sortent des usines pour remplir nos magasins ? Non, car ils sont conformes à ce qu'on attend d'eux, souvent sans surprise.

Pourquoi vouloir adopter à tout prix nos modes de développement, notre philosophie du gaspillage et de l'innovation? Il n'y a pas de vainqueur dans le jeu économique ou culturel d'aujourd'hui : que des perdants. D'ailleurs, les Anglais l'ont probablement compris en premier, puisqu'ils ont été les premiers à faire les règles de ce jeu et à prendre la mesure de ses limites. Intelligents? : il faut l'espérer pour la suite. On compte sur eux pour réformer, nous faire passer d'un libéralisme fou à quelque chose de plus acceptable, de moins ouvert et de plus respectueux des peuples. On compte sur les artistes pour nous montrer la réalité sensible, nous faire comprendre que derrière les jeux des grandes puissances et les égos des dirigeants, il y a aussi des peuples dans leur singularité, des cultures toutes différentes et qui doivent rester fières quand on tente de leur imposer la camelote mondialisée.

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