Perspectives économiques de l'Europe


Fin du mandat pour Mario Draghi, qui après avoir évité l'éclatement de la zone euro par une politique massive de rachat d'obligations d'état finit par maintenir cette politique pour des fausses raisons de croissance économique alors que tout le monde sait maintenant que ces politiques ne font que valoriser à la hausse les actifs déjà acquis et pousser les acteurs économiques au surendettement, créant un fossé entre les détenteurs d'actifs et les jeunes. C'est un point noir pour la zone euro, qui se prive de dynamisme économique par cette pseudo-rente immobilière et par le poids énorme de sa dette, qui l'empêche de bouger, de se réinventer. La baisse de taux longs sous zéro devrait être activement combattue par la banque centrale plutôt qu'être accompagnée, non pas pour dire que l'on va ponctionner de l'argent aux états via le rendement des dettes d'état, mais simplement que cette politique à des effets pervers qui dépassent parfois les gains. Si la restructurations de banques ou entreprises zombies est nécessaire, c'est toujours préférable à cette politique de déclin des taux, qui engage toute l'économie dans cette forme de stagnation larvée, cette dépression qui ne dit pas son nom.

La situation de fond s'est elle réellement améliorée dans la zone euro ?

Les pays du sud sont toujours surendettés car les quantitative easing ne réduisent jamais les dettes, l’Italie étant la moins bien placée en terme de chiffres d'endettement et de croissance. Sa démographie n'aidant pas, le poids de l'euro est trop fort pour elle compte tenu de la faible productivité de son économie, de son positionnement en terme de produits (il faut admettre aussi qu'ils ont beaucoup de savoir faire dans plein de domaines, et que cela reste un pays avec une culture extraordinaire). Maintenant, c'est le "cœur" économique de la zone euro, l'Allemagne, qui montre des signes de faiblesse, du fait des politiques de restrictions budgétaires imposés à ses voisins et à elle même, du fait de sa démographie, et aussi d'un recul de la croissance chinoise, qui était un relai très important pour l'industrie allemande.

La France est donc mieux placée ou serait mieux placée pour négocier un nouveau virage européen. Il faudrait je pense investir effectivement pour moderniser une économie basée sur des énergies fossiles, mais pas simplement en construisant des EPR pour alimenter des voitures électriques en restant dans un modèle productiviste. Il faudrait repenser l'intégralité de l'organisation économique de manière à ne plus dépendre de ces chiffres de production, et à orienter l'économie soit vers du savoir, soit vers une production plus vertueuse en qualité, ou le chiffre d'affaire généré serait finalement la somme d'un nombre de produits moindres en quantité multiplié par un prix de vente plus élevé, produits réparables dans diverses filières. Faire du qualitatif, ce serait un projet cohérent pour contrer la Chine, qui de toute manière trouvera toujours le moyen de vendre à prix cassé sa marchandise.

La qualité des produits doit être au cœur d'une politique économique moderne, plutôt que de rester rivé sur les chiffres de la production en volume, ou de la production d'énergie qui accompagne ce mouvement de production-consommation. Le slogan du toujours plus n'est pas moderne, il est totalement dépassé. Ce n'est pas plus d'avions, de voitures, de centrales nucléaires qu'il faut pour réduire l'emprunte écologique, c'est simplement améliorer la qualité de vie quotidienne par différents éléments qui répondent aux besoins principaux des habitants, qui devront en contrepartie se passer de cette très grande liberté apportée par les moyens de locomotion peu chers qui étaient jusqu'à maintenant disponibles. Si la crise des gilets jaunes a touché la France avant d'autres pays, c'est aussi par cette grande dépendance à la voiture. Les grandes agglomérations devraient permettre d'utiliser les transports en commun, et si elles sont saturées, c'est un étalement sur le territoire qu'il faudrait adopter, à contre courant de la tendance des "hubs" hyper-concentrés qui conduiront à une forme de nouvelle économie médiévale, avec les grands "hubs", et le reste, coupé de tout et qui retombera dans la misère.

Les seuls virages de l'électrification et de la digitalisation sont des leurres, car le bilan global en terme d'émissions est assez peu vertueux si on continue de penser les voitures pour les durées de vie de 15 ans sans modernisation possible. Les batteries génèrent quantité de déchets difficiles à recycler, sans parler de leur fabrication, coûteuse en énergie bien plus que pour le thermique. La réduction drastique du nombre d'automobiles est la seule solution viable pour l'écologie, quoi qu'en coute le prix en terme de croissance. La croissance achetée à court terme par l'accroissement de la mobilité, parfois peu rationnelle, sera payée au prix fort plus tard, lorsque les dégâts causés seront irréversibles. Ce sont évidemment des transports en commun de qualité qui offrent une solution rationnelle à la mobilité dans les grandes agglomérations, ou bien des transports comme le vélo ou la marche à pied, ce qui suppose de vivre pas trop loin de son travail.

La digitalisation, qui va de pair avec ce projet assez fou de voiture connectée, ou finalement tout devient guidé par des moyens qui nous dépassent, génère lui aussi quantité d'émissions et surtout il s'agit d'une dépense d'énergie folle en terme de moyens humains et de futures infrastructures informatiques et autres. La maintenance informatique, les serveurs, les données traitées, sont des facteurs de dépense d'énergie et de monopolisation des énergies humaines qui font oublier que ce ne sont que des outils parmi d'autres. L'artisanat, coûteux mais vertueux pour l'individu, devrait aussi être mis en avant pour sortir partiellement d'un monde standardisé qui pense tout pour le prix, la valeur du bien avant de penser les conditions de la réalisation de l'objet, l'épanouissement du travailleur. La faible motivation des gens, leur colère dans la rue, leur rejet de la politique, vient aussi de cet évident déclin des capacités cognitives qu’accompagnent toutes ces technologies modernes ainsi que l'aliénation d'un travail toujours plus standardisé et assimilé à des process eux mêmes contrôlés bientôt par des algorithmes soit disant objectifs, "plus objectifs" qu'un interlocuteur humain.

Cette tendance, ce virage numérique, me font penser à un ouvrage de Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, Dialectique de la Raison, ou finalement le processus ou la logique des lumières aboutissent en leur contraire, en une raison instrumentale figée, un processus qui ressemblerait à un programme informatique clos sur lui même, incapable de penser la nouveauté au final. Il s'agit d'un ouvrage dont j'ai probablement déjà parlé, et qui me semble très important dans la compréhension du monde actuel.

Enfin je pense que redonner un peu de magie au monde, de croyance ou de religion, n'est pas contraire à la modernité, à l'économie, mais permettait de penser que l'irrationnel, la création artistique, serait un projet tout aussi important que de s'intéresser aux préoccupations économiques.

L'économie ce sont des cycles, et finalement il ne reste rien des produits de consommation de masse, qui finissent à la décharge. Une société uniquement ancrée sur l'accroissement de masses de produits  ou de services et qui espère voir les acteurs de cette mascarade devenir heureux est une société fondamentalement malade, au même titre que les banquiers centraux sont malades lorsqu'ils appliquent leurs formules mathématiques de taux d'intérêts négatifs pour espérer voir les gens dilapider leur argent et accompagner le mirage d'une croissance faussée. Le modèle est à changer, pas uniquement les paramètres du logiciel qui permet de le piloter. La réflexion n'est probablement pas simple mais l'Europe a suffisamment de culture pour relever de tels défis.

Évidemment, le frein à une telle perspective de modernisation réelle de la pensée économique est l'ouverture et l'interconnexion des marchés, qui empêchent tout nouvel ordre des choses, de part leur emprise rationnelle, chiffrée, sur le réel. Comment vouloir changer quoi que ce soit quand vous avez la pression de tel actionnaire chinois ou américain ? C'est très difficile, difficile de légiférer, difficile d'imaginer des projets alternatifs. Pourtant, plus que jamais, le politique à un rôle à jouer, non pas comme vendeur de produits à l'international pour quelques contrats, mais pour apporter une direction propice à des réels changements de l'organisation économique.

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