Chroniques de l'homme moderne



L’homme moderne accélère. Je pourrai citer Baudrillard si j’avais réellement compris ce que signifiait hypertélique, mais ce n’est pas le cas, ou du moins, pas vraiment. On tend vers l’obèse, vers l’obscène, dans une accélération des réseaux qui nous ferait presque oublier à quel point le système bourgeois stagne.

La technologie envahissante masque de moins en moins les bidonvilles, et dans ce décor de nouveau moyen-âge technicisé, on s’imaginerait que le mouvement cyberpunk n'est qu’un cauchemar s’il n’était pas déjà la réalité augmentée (diminuée) du moment.

Je feuillette des albums photo de Robert Frank et Tod Papageorge, et je crois y déceler des messages importants : sans doute suis-je en train de divaguer. Après tout, les civilisations de nos ancêtres croyaient toutes en dieu, en des manifestations du dieu ou des dieux. Les dieux nous ont-ils réellement abandonnés ou bien sont-ils encore présents ?

Monothéismes et refus du monde comme cosmos, tentative de rationaliser un commencement et une fin, tout ceci dans une volonté affirmée d’exploiter les ressources mises à disposition, à la manière de ce qui est écrit dans la Genèse. L’homme doit se multiplier, il doit exploiter, dominer la nature hostile. Si l’homme exploite l'homme c’est probablement aussi lié à cela.

Adorno a il me semble parlé de cette exploitation de la nature. J’ai retenu une description lucide de l’industrie culturelle et de l’homme à l’Age de l’économie administrée. La critique marxiste est souvent plus pertinente que les manuels d’économie libérale (qui omettent de dire qu’aujourd’hui les marchés financiers et le système bancaire sont administrés par les banques centrales)

Nous sommes loin de la sagesse des polythéismes, loin de la conception d’un homme dans le cosmos et la nature, qui vit dans des cycles renouvelés et non identiques dans lesquels il s’intègre pleinement. Plus proche de l’entrepreneur de la start-up nation qui voit le monde de demain à travers la technologie car cela va lui rapporter un maximum d’argent, l’homme moderne fait probablement fausse route, mais il l’ignore, enfermé dans son idéologie techniciste.

La technologie se doit d’être utilisée avec mesure pour être efficace sans être envahissante : de la même manière que je ne vais pas utiliser un jet ou Hyperloop pour aller travailler chaque matin, j’imagine comme assez superflu de payer ma baguette de pain à l'aide d'un téléphone connecté à des réseaux. Le moyen technologique est souvent disproportionné dans sa puissance au regard de la manière dont il est utilisé, ou de ce qu'il apporte concrètement aux populations. Les investissements dans les technologies dépassent parfois ceux qu'il faudrait faire afin d'entretenir des infrastructures vitales. On privilégiera hyperloop à une ligne de train de province ou à des lignes de bus. L'accélération promise aveugle les décideurs et oriente les choix de la société toute entière et la contraint.

Le progrès technologique n'empêche pas le vide : le manque de consistance du monde moderne tient au fait qu’il n’y a finalement rien ou si peu des productions humaines originales qui est conservé, dans un flux tendu de la marchandise industrielle standardisée et toujours renouvelée, rarement élégante, rarement pensée dans l’idée d’un dépassement de son objectif : faire du fric.

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